Ultimes préparatifs de tournage Albin teste son travelling compensé.

Au cœur du Festival du film de Sarlat

Premiers pas de cinéastes

Les étudiants d’hypokhâgne de l’option Cinéma et audiovisuel de la CPGE Lettres du Lycée Bertran-de-Born (Périgueux, académie de Bordeaux) ont vécu, du 3 au 7 novembre 2025, une semaine inoubliable lors de la 34e édition du Festival du film de Sarlat. Accompagnés de leur enseignante Nathalie Mauffrey, ils ont participé au programme Lycéens de ce festival et au tournage des Petites séquences, profitant d’une immersion cinématographique totale.

Albin, Jade, Aubin, Zoé et Adèle prêts à embarquer, valises et matériel de tournage sous les bras

L’aventure a commencé lundi 3 novembre, tout juste après les cours, avec un départ par le bus régional, équipement de tournage sous le bras, scénario, découpage technique et plan de travail soigneusement préparés durant les semaines précédentes. Direction Sarlat, ville médiévale et décor naturel du 7e art pour la réalisation des « petites séquences ».

D’intenses préparatifs

C’est la scénariste Judith Godinot qui a eu l’honneur cette année de rédiger trois scénarios à partir du film du Bac La Féline de Jacques Tourneur, proposés aux lycéens de Terminale inscrits en spécialité Cinéma et Audiovisuel qui se sont prêtés au jeu d’un tournage en temps limité dans les ruelles médiévales de Sarlat ou, nouveauté cette année, dans les décors des studios France Tabac. Le 2e scénario « Rien d’inquiétant » nous a été attribué. La scénariste l’a pensé comme une « comédie autour de la silenciation de la parole des femmes ». Elle y raconte, en effet, la visite médicale d’Irène qui ressent déjà les symptômes de sa métamorphose féline chez un médecin histrion et rétrograde peu préoccupé par le mal-être féminin. Dans la continuité de notre analyse en classe du fantastique de Tourneur, les étudiants ont dû composer avec des contraintes formelles supplémentaires : suggérer la métamorphose sans la montrer et, sur le plan dramaturgique, rendre sensible le changement de domination, en jouant sur des ressorts spécifiquement cinématographiques (montage, cadrage, jeu avec le hors-champ et la lumière).

La Féline, Jacques Tourneur (1942) - Irena chez le psychiatre

En classe, les étudiants ont chacun au préalable écrit une note d’intention qui a déterminé celui ou celle qui prendra la charge de la réalisation. La réalisation a été confiée à Zoé qui a opté pour un traitement tragico-comique et absurde de cette séquence nourrie de nombreux clins d’œil cinéphiliques. Après un premier partage des suggestions de mises en scène signifiantes au regard de ce projet, un découpage technique a été élaboré collectivement, puis chacun s’est attelé à faire sien le rôle qui lui a été attribué : Albin, notre cadreur, s’est essayé à un travelling compensé en caméra-épaule que nous devons sacrifier à la réalité du tournage ; Aubin a pris la charge de la photographie du film, Jade celle du son, et Adèle le scripte ainsi que le plan de travail qu’elle conçoit en partenariat avec Zoé.

Sur place, les étudiants ont pris leurs quartiers dans les chalets du Périgord, transformés temporairement en « base de vie » : discussions scénaristiques dès le petit-déjeuner, incessants sacrifices de plans trop ambitieux pour réduire le découpage de trente à dix plans, plan au sol du plateau, tests techniques sur la caméra et la perche, gestion des accessoires. L’ambiance de travail est studieuse.

Sur les plateaux des studios France Tabac

L’avant-veille du tournage, nous visitons les studios France Tabac et découvrons enfin le décor du Cabinet médical dans lequel nous allons tourner, conçu et réalisé par les lycées professionnels de Sarlat pour la menuiserie et ceux de Bordeaux pour l’ameublement et les accessoires. C’est l’occasion pour nous de tester et modifier certains plans et d’échanger avec le reste de l’équipe artistique : le réalisateur Frédéric Chignac ainsi que l’actrice Anne Duverneuil et le comédien Florian Choquart, habillés, maquillés et coiffés par le lycée professionnel d’Agen. Chaque membre trouve sa place : Zoé dirigera les acteurs sur le plateau, Adèle assurera la cohérence des scènes comme assistante réalisatrice et scripte, Jade et Aubin se relaieront à la perche, se chargeant aussi de placer au bon endroit le pied de caméra sans perturber l’installation-lumières de Diarra Sourang, cheffe électricienne professionnelle dont le métier a été exploré en amont grâce à un podcast inspirant.

Le jour du tournage, l’équipe se complète et reste soudée malgré de nombreux aléas : les acteurs ont été oubliés à l’hôtel, réduisant à trois heures un temps de tournage déjà ténu. Qu’à cela ne tienne, nous commençons par les plans du décor. Aubin, chef opérateur, ne peut pas reconfigurer les éclairages en studio (déjà installés), il exprime sa créativité en postproduction grâce à notre monteuse, Laetitia Ferry qui effectue un changement de colorimétrie pour signaler un moment-clef de bascule dans le récit, inspiré par Adieu les cons de Dupontel.

Certaines bévues ne pourront néanmoins pas être rattrapées : l’ombre portée des photographes de plateau, le bruit de la pluie sur la tôle des studios qui parasite l’ensemble des prises son et cette prise électrique laissée dans le champ que personne n’a vue et qui génère dans le plan final un anachronisme sur lequel nous ne voulions pas jouer, contrairement à l’équipe de Marseille dont nous avons trouvé l’interprétation du scénario particulièrement réussie. Nous nous consolons en considérant que les ombres portées constituent un subtil clin d’œil aux jeux de clair-obscur du film de Tourneur et sauvons les dialogues en postproduction, mais au détriment de certains bruits qui participaient au comique de la séquence. Qu’importent ces aléas ! Devant les postes de montage, la magie opère et ne reste que la certitude d’avoir vécu ensemble un grand moment de cinéma que l’expérience en salle vient parachever.

Entre projections et ateliers : la cinéphilie en immersion

Outre le tournage, les journées sont rythmées par les projections en salle et la participation à divers atelier. Plusieurs projections sont consacrées à l’oeuvre de Jacques Tourneur, dont La Féline qui est au programme du baccalauréat, occasion d’assister à la conférence animée par Frank Lafond, spécialiste du cinéma fantastique.

Le Festival programme chaque année une sélection de films projetés en avant-première en présence des réalisateurs venus rencontrer leur public : La Femme de de David Roux, Animal Totem de Benoît Delépine et Les Enfants vont bien de Nathan Ambrosioni. Lors de la projection de ce dernier, les étudiants vivent un moment privilégié en échangeant en visioconférence avec l’actrice Camille Cottin, engagée sur le tournage du film Dix pour cent.

La participation en salle aux Ateliers du savoir est l’occasion d’expérimenter les métiers du cinéma et de l’audiovisuel sous l’égide de professionnels passionnés : le critique Frédéric Mercier, la monteuse Marie Deroudille, la productrice Claire La Combe, le réalisateur Nathan Ambrosioni et le scénariste Gilles Marchand. Autre nouveauté cette année, le Forum des écoles du cinéma a offert la possibilité aux étudiants de s’informer sur les parcours post-bac en audiovisuel, un outil pédagogique plébiscité lors des échanges avec les intervenants.

Anecdotes et souvenirs : une aventure humaine

La semaine à Sarlat se ponctue d’épisodes marquants, souvent drôles ou touchants : la complicité de Zoé et Adèle dans la gestion du plateau, la joie d’Adèle d’échanger quelques mots avec Benoît Delépine, réalisateur d’Animal Totem et humoriste grolandais qui en cette heure tardive de la soirée a fait honneur à sa patrie fictive, la fierté d’Albin, originaire de Sarlat, de retrouver ses professeurs et amis locaux, la vigilance de l’équipe pour veiller sur Aubin, unique étudiant mineur, tous ces moments forgent un esprit d’équipe solide. Un soir, le groupe profite d’une virée dans les ruelles médiévales de la ville et s’offre une sortie au restaurant, moment de détente bienvenu au milieu de journées intenses. Sur le plateau, Anne Duverneuil, actrice et « ancienne khâgneuse », partage avec nostalgie ses souvenirs des classes préparatoires, apportant un regard complice sur les lycéens qui l’entourent. Les débats cinéphiles s’animent à la fin de chaque projection, annonçant le premier numéro des « Critiques de B2B », auquel chaque participant doit contribuer en rédigeant la critique d’un film vu durant la semaine.

La rigueur imposée par la classe préparatoire demeure, même en déplacement : chaque fin de journée, les étudiants rattrapent les cours manqués grâce à l’envoi des contenus par les professeurs et camarades restés à Périgueux. Le festival se termine sur la projection collective des petites séquences, chaque lycée partageant son travail, fruit d’une collaboration exemplaire entre sections générales et professionnelles.

Le voyage de retour, dans un bus bondé de lycéens, valises et matériel de tournage entassés pêle-mêle, clôt l’expérience sur une note rocambolesque. Mais malgré la fatigue et l’intensité des journées passées ensemble, les étudiants regagnent Périgueux, enrichis d’une aventure pédagogique et humaine hors du commun. L’équipe tient à remercier les organisateurs du Festival du film de Sarlat, Annick Sanson et Rafaël Mastro, secondés sur le plan logistique de Céline Perraud et Manon Bordage, pour la qualité du programme, l’accueil et l’accompagnement, ainsi que Mme Gantelet, cheffe d’établissement du lycée Bertran-de-Born, venue saluer en salle le groupe lors d’une visite à Sarlat. Ce séjour aura renforcé la cohésion du groupe et permis à chacun de grandir, tant sur le plan technique que personnel, et d’affirmer une passion partagée pour le cinéma.

Un rendez-vous marquant dont les souvenirs, les critiques et les séquences assureront une place de choix dans la mémoire collective du lycée Bertran-de-Born et dans le cœur de ses apprentis cinéastes.